Portée d’une clause de non-concurrence post-contractuelle dans un contrat de franchise au regard du droit de la concurrence

Portée d’une clause de non-concurrence post-contractuelle dans un contrat de franchise au regard du droit de la concurrence
  • Créé le : 24/10/2014
  • Modifé le : 24/10/2014
Maîtres Nicolas Godin et Patrick Kileste signent ici un intéressant article analysant la clause de non-concurrence dans un contrat de franchise. Certaines dispositions se heurtent à la législation ou à la pratique jurisprudentielle. Ils nous l’expliquent de manière détaillée.

Patrick Kileste, Avocat

I. Validité d’une clause de non-concurrence post-contractuelle au regard du droit européen

L’article 101 du TFUE (ex-article 81 TUE) interdit, par règle générale, toute association d’entreprises ayant pour objet de fausser le jeu de la concurrence, sauf dans certaines conditions assez strictes, visant à « améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte » et pour des pratiques qui : 

–     présentent un caractère indispensable et
–     ne donneront pas à des entreprises le pouvoir d’éliminer la concurrence.

La Commission a cependant édicté des règlements d’exemption définissant les conditions auxquelles des accords a priori restrictifs de concurrence peuvent néanmoins être admis. 
En droit communautaire, la validité des clauses de non-concurrence est donc reconnue sous certaines conditions posées par l’article 5.3 du Règlement n° 330/2010 de la Commission européenne du 20 avril 2010 (ancien article 5 sous b) du Règlement n° 2790/1999) concernant l’application de l’article 101, §3, du TFUE  (ancien article 81, §3 TUE) à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées. 

Cet article prévoit, à titre tout à fait exceptionnel, que des obligations de non-concurrence imposées directement ou indirectement au-delà de l’expiration du contrat peuvent bénéficier de l’exemption par catégorie, pour autant qu’elles satisfassent aux conditions suivantes : 
– Premièrement, ces obligations doivent concerner des biens ou services en concurrence avec les biens ou services contractuels. 
– Deuxièmement, elles doivent avoir un champ géographiquement limité aux « locaux et aux terrains à partir desquels l’acheteur a opéré pendant la durée du contrat ». 
– Troisièmement, ces obligations de non-concurrence doivent être indispensables à la protection d’un savoir-faire transféré par le fournisseur à l’acheteur. Quatrièmement, leurs effets dans le temps ne peuvent dépasser un an à compter de l’expiration du contrat.

Rappelons ici qu’une clause contractuelle qui ne remplirait pas une des conditions d’un règlement d’exemption ne pourrait pas bénéficier de ce Règlement et pourrait être annulée. 

La loi belge sur la protection de la concurrence économique (insérée dans le Code de droit économique) reprend les mêmes principes et les applique aux pratiques qui auraient un effet purement interne à la Belgique.

De nombreux auteurs, à l’instar des juridictions nationales, se posent un certain nombre de questions quant au sens du membre de phrase « locaux et […] terrains à partir desquels l’acheteur a opéré pendant la durée du contrat ». Il est en effet permis de se demander si cette formulation est limitée au local dans lequel est exploitée l’activité ou si elle a une portée plus large, étendue à l’intégralité du territoire visé par le contrat.

Nicolas Godin, Avocat

II. Litige et question préjudicielle posée à la Cour de justice de l’Union européenne

Un litige opposait en l’espèce un franchiseur à l’un de ses anciens franchisés concernant une clause de non-concurrence post-contractuelle ainsi libellée « le franchisé s’engage à ne pas développer, directement ou indirectement, une activité identique ou similaire à l’activité objet du présent contrat, ou qui entre en concurrence avec cette dernière. (…). La présente clause de non-concurrence demeurera applicable pendant toute la durée du présent contrat et est justifiée par la protection nécessaire du savoir-faire ou « know-how » et par la nécessité de maintenir l’identité, l’image et la réputation du réseau. La clause de non-concurrence sera également applicable pendant une durée d’une année après la fin du contrat pour quelque cause que ce soit, et ce dans le territoire concédé, cette exigence étant indispensable pour la protection du savoir-faire ou « know-how ».  

En l’espèce, le franchisé avait unilatéralement résilié le contrat en invoquant différents motifs dont notamment certains manquements aux obligations d’assistance technique et commerciale. Le franchiseur avait quant à lui saisi le juge de première instance de Burgos (Espagne) d’une demande en réparation du préjudice subi par lui du fait de la résiliation anticipée du contrat, ainsi que pour le paiement d’une pénalité forfaitaire pour manquement à la clause de non-concurrence.   Le franchisé soutenait que la clause devait être considérée comme nulle en ce qu’elle constituait une pratique anticoncurrentielle non exemptée par le Règlement européen d’exemption en vigueur à l’époque[1], puisqu’elle n’était pas limitée dans l’espace « aux locaux et aux terrains à partir desquels l’acheteur a opéré pendant la durée du contrat » mais s’étendait à tout « le territoire concédé ».   Le franchiseur faisait quant à lui valoir que sous l’empire de l’ancien Règlement d’exemption n°4087/88 du 30 novembre 1988 concernant l’application de l’article 85 paragraphe 3 du traité à des catégories d’accords de franchise, l’exemption s’appliquait à l’obligation faite au franchisé de « ne pas exercer, directement ou indirectement, une activité commerciale similaire dans un territoire où il concurrencerait un membre du réseau franchisé, y compris le franchiseur », obligation pouvant « être imposée au franchisé après la fin de l’accord pour une période raisonnable n’excédant pas un an, dans le territoire où il a exploité la franchise » (art. 3).   Saisie de la difficulté, l’Audiencia Provincial de Burgos a sursis à statuer et posé à la Cour de Justice de l’Union Européenne les questions préjudicielles suivantes :  

1) Le membre de phrase « locaux et […] terrains à partir desquels l’acheteur a opéré pendant la durée du contrat » contenu à l’article 5, sous b), du règlement n° 2790/1999 doit-il s’entendre comme se limitant au lieu ou à l’espace physique à partir duquel ont été vendus les biens ou ont été fournis les services pendant la durée du contrat, ou bien peut-il s’étendre à tout le territoire sur lequel l’acheteur a opéré pendant la durée du contrat ?  

2) Dans l’hypothèse où la Cour se prononcerait en faveur de la première interprétation, les termes « locaux et […] terrains » peuvent-ils désigner le territoire dans lequel le franchisé a opéré pendant la durée du contrat lorsque, en vertu du contrat de franchise, le franchisé se voit assigner un territoire déterminé ?

[1] Règlement n°2790/1999 du 22 décembre 1999, concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées remplacé aujourd’hui par le Règlement n° 330/2010.

III. Interprétation de la Cour de justice

La CJUE donne raison à l’analyse développée par le franchisé, estimant que « l’article 5, sous b), du règlement n° 2790/1999 doit être interprété en ce sens que le membre de phrase «locaux et […] terrains à partir desquels l’acheteur a opéré pendant la durée du contrat» vise uniquement les lieux à partir desquels les biens ou services contractuels sont offerts à la vente et non pas l’ensemble du territoire dans lequel ces biens ou services peuvent être vendus au titre d’un contrat de franchise » (§41).   La Cour a donc retenu l’interprétation restrictive de l’article 5, sous b), du Règlement, selon laquelle les « locaux et terrains » visés à cette disposition sont uniquement constitués des point des vente à partir desquels les biens ou services contractuels ont été vendus par l’acheteur, conformément à son sens commun comme se référant à une partie distincte d’une immeuble, et ne s’étendent pas au territoire qui a pu lui être concédé.   La solution, bien que donnée en application du Règlement n° 2790/1999, vaut pour l’article 5 b) du Règlement n° 330/2010 aujourd’hui applicable car il en reprend la substance sur la question litigieuse.  

IV. Conclusion

Par conséquent, il découle de cet arrêt qu’une obligation de non-concurrence qui interdit à l’acheteur, après l’expiration du contrat, de vendre des biens ou services contractuels sur le territoire à partir duquel il a opéré pendant la durée de ce contrat ne bénéficie pas de l’exemption par catégorie prévue par le Règlement, et pourrait donc être déclarée nulle.   L’obligation de non-concurrence doit avoir, pour bénéficier de l’exemption par catégorie, un champ géographique restreint non pas au territoire concédé, mais aux seuls locaux et terrains à partir desquels les biens contractuels sont vendus.     

Nicolas Godin et Patrick Kileste
Avocats

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